Micro-anatomie de la musculature laryngée intrinsèque :
organisation en sous-systèmes phonatoires
Micro-anatomie de la musculature laryngée intrinsèque :
organisation en sous-systèmes phonatoires
Les différents muscles intrinsèques laryngés ont des rôles bien connus pour les différentes fonctions assumées par le larynx. En ce qui concerne la phonation, activité motrice hautement spécialisée chez l’humain, on peut décrire sur le plan micro-anatomique une organisation fonctionnelle particulière reposant notamment sur l’innervation à partir des 2 branches du nerf vague à destination du larynx : le nerf laryngé inférieur (NLI) ou récurrent, et le nerf laryngé supérieur (NLS).
I-Les muscles laryngés
1-Le muscle CAP
Seul muscle abducteur du larynx, le CAP est composé de 2 corps. Dans sa partie latérale se trouve le corps vertical, et dans sa partie médiale se trouve le corps horizontal. Chez l’humain, chacun de ces corps reçoit son innervation d’une branche spécifique du NLI.
Anatomiquement, ces 2 corps ont des fonctions différentes.
Stimulés isolément, les différents corps du CAP ont une action différente sur le cartilage aryténoïde. Le corps vertical fait glisser latéralement l’aryténoïde et le fait basculer vers l’arrière, ce qui est observé pendant l’inspiration. Au contraire, le corps horizontal stimulé isolément fait pivoter l’aryténoïde vers le dehors, provoquant une abduction des CV sans déplacement latéral du corps de l’aryténoïde. On ne connaît pas actuellement le rôle exact de ce mouvement dans la phonation : peut-être ce mouvement de pivot est-il utilisé durant la phonation pour positionner précisément le processus vocal de l’aryténoïde ? Il est également possible que le corps horizontal du CAP ne soit pas un abducteur mais au contraire un adducteur comme le AA, participant ainsi à l’accolement de la face postérieur des AA au cours de la phonation. Cette hypothèse est renforcée par la présence d’une grande proportion de fibres à contraction lente dans le corps horizontal. Et en effet, la présence d’une grande proportion de fibres à contraction lente dans un muscle laryngé est un indice de son implication dans la phonation.
Le rôle du CAP pendant la phonation reste actuelllement controversé : la parole consiste en une succession de segments voisés et non voisés. Le CAP écartant les CV après l’émission sonore, il n’aurait donc pas de rôle dans la phonation. Cependant, des études électrophysiologiques ont montré que lors de la production de sons à forte intensité et à des hautes fréquences, le CAP est actif. Dans ces conditions de phonation, l’activité du CAP contrebalance probablement la traction antérieure de l’aryténoïde liée aux actions du TA et du CT.
Le CAP est le premier muscle à être innervé par le NLI lors de son abord du larynx.
2-Le muscle AA
Il s’agit d’un muscle impair composé d’une portion transverse et d’une portion oblique, cette dernière étant probablement une extension du muscle ary-épiglottique.
Quand il se contracte, il rapproche la partie postérieure des aryténoïdes, jouant ainsi un rôle important dans la phonation et dans le rôle sphinctérien du larynx.
Ce muscle est innervé par les 2 NLI, mais certaines études ont évoqué la possibilité d’une innervation également par la branche interne du NLS.
Cependant, la stimulation électrique de la branche interne du NLS ne provoque pas de mouvement des CV, et la section de cette branche n’a pas de conséquence sur le mouvement des CV. Il est ainsi actuellement établi que la branche interne du NLS traverse le AA sans l’innerver, pour assurer l’innervation proprioceptive de la région aryténoïdienne, ainsi que la sensibilité muqueuse.
Des études histochimiques montrent par contre que les 4 nerfs laryngés contribuent au niveau du AA, à la constitution d’un plexus (les 2 NLI et les 2 branches internes du NLS).
3-Le CAL
Ce muscle adducteur est important dans la phonation et dans les réflexes d’occlusion laryngée.
Cependant, certaines études ont également montré un rôle d’abduction de ce muscle : en effet, les fibres les plus latérales sont parallèles au grand axe de l’articulation crico-aryténoïdienne, et leur contraction tire l’arytenoïde latéralement. Par ailleurs, d’autres études ont montré la présence d’une activité électrique dans les 2 CAL pendant la respiration.
Le CAL est innervé par le NLI.
4-Le TA
Muscle le plus important de la phonation, il est composé chez l’humain de 2 corps : une portion médiale (appelée par les Anglo-saxons « vocalis ») et une portion latérale (appelée « muscularis »).
4-1- Le muscularis
Ce corps musculaire représente le compartiment latéral du TA. Il naît de la face antérieure du processus musculaire du cartilage aryténoïde et s’insère en avant sur le cartilage thyroïde. Son insertion sur le processus musculaire de l’aryténoïde lui confère un rôle d’adducteur des CV.
Chez l’humain, la répartition en fibres musculaires à contraction lente (résistantes à la fatigue, SMTF) et à contraction rapide (capables de provoquer des déplacements rapides) est très différente dans chacun des corps du TA : les fibres à contraction lente ont une proportion de 100% au niveau du bord médial de la CV, alors que dans la partie latérale de la CV, la proportion de fibres à contraction rapide atteint 100%.
Le muscularis comprend un grand pourcentage de fibres à contraction rapide et il est ainsi spécialisé dans la production de mouvements rapides. Le muscularis est responsable de l’adduction de la CV que ce soit pour la phonation ou les reflexes de fermeture laryngée.
4-2- Le vocalis
Ce corps constitue le compartiment médial du TA. Il naît du processus vocal ainsi que de la face médiale du cartilage aryténoïde, et se termine sur la muqueuse de la face inférieure de la CV et sur le cône élastique.
Le vocalis contient une forte proportion de fibres à contraction lente. Par sa contraction, il modifie les caractéristiques de tension de la CV : il est responsable du contrôle de la fréquence fondamentale et de la composition en harmoniques de la fourniture laryngée.
Le vocalis lui-même est composé de 2 corps musculaires distincts, le vocalis inférieur (Vi) et supérieur (Vs).
On suppose que ces 2 régions correspondent aux différentes masses décrites dans le « modèle à 2 masses » de la vibration.
Le Vi contrôle la tension de la partie basse de la muqueuse du bord libre de la CV et il détermine la fréquence fondamentale de la vibration de la CV.
Par ailleurs, il est responsable du contrôle du démarrage de la phonation.
Le Vs n’est bien développé que chez l’humain adulte. Il est impliqué dans le contrôle de la qualité de la voix, notamment par le biais de la composition fréquentielle de la fourniture laryngée (harmoniques de la fréquence fondamentale). Par ailleurs, l’étude de la dynamique vibratoire suggère que le Vs exerce un contrôle dans la production des sons au moment de l’occlusion de la partie supérieure des CV.
Ainsi, le Vi contrôle la fréquence fondamentale lors de la phonation, tandis que le Vs contrôle les hautes fréquences présentes dans la fourniture laryngée et qui déterminent la qualité de la phonation.
-La partie basse du vocalis et le contrôle de la fréquence fondamentale
Pendant la vibration, la région du Vi est à l’origine des oscillations cordales et de l’ondulation muqueuse générée par ce déplacement. En efftet, il a été montré que les modifications de tension au-dessus de cette région inférieure n’ont pas d’effet sur la fréquence de vibration. La tension dans le Vi peut donc être contrôlée de manière indépendante au reste du TA.
-La partie haute du vocalis et le contrôle de la qualité de la voix
Le Vs est une structure unique en son genre. En effet, chez l’humain, cette région du TA est constituée de fibres musculaires organisées de manière extrèmement complexe. Au contraire, chez le chien et chez le NN, cette région est composée de tissu conjonctif lâche. Ces différences de composition du Vs suggèrent que celui-ci a évolué au cours de la philogénèse pour jouer un rôle clé dans le langage humain.
Le Vs est en effet responsable de la production des fréquences à l’origine des formants des voyelles.
Il a été montré par l’imagerie que l’aspect des CV varie énormément pendant la production des voyelles.
Chaque voyelle est caractérisée par 2 formants, renforcements énergétiques de certaines zones fréquentielles par les résonateurs.
Pendant la production vocalique, la fréquence fondamentale, liée au niveau de tension dans le Vi, reste constante. Le Vs, en modifiant son niveau de contraction, module la forme de la CV pour permettre la création des fréquences qui seront transformées en formants au niveau des résonateurs.
Ainsi le Vs, par son action, a la capacité de moduler la composition en harmoniques de la fourniture laryngée.
Le son vocal est produit lors de la phase d’ouverture du cycle vibratoire (lorsque les puffs d’air sont libérés entre le bord libre des CV). Mais les hautes fréquences, présentes dans la fourniture laryngée et responsables de la qualité vocale, seraient produites par le contact entre les CV au niveau de la partie supérieure du bord libre, au moment de la phase de fermeture.
Des études ont montré que le Vs possède une microstructure et des caractéristiques moléculaires telles qu’il s’agit d’un type quasi unique de muscle chez les mammifères.
A l’intérieur du TA, le Vs contient des fibres très spécialisées, extrèmement courtes ainsi qu’un système conjonctif intramusculaire inhabituel. Les fibres musculaires, connectées les unes aux autres par une série de tendons très fins, se divisent en fibres plus petites qui, en se connectant les unes aux autres, forment un véritable un réseau musculaire. Cette organisation particulière permet une distribution précise de la force musculaire à l’intérieur du muscle.
Par ailleurs, il a été montré que les fibres musculaires à contraction lente du Vs contiennent un type très rare de myosine (myosine alpha cardiaque développementale). Ceci permet des contractions lentes et prolongées, résistantes à la fatigue, comme celles des muscles lisses.
Ces fibres « à contraction lente et tonique » (STMF : slow tonic muscle fibers) ont une physiologie différente des autres muscles : elles constituent des faisceaux musculaires avec de multiples plaques motrices organisées « en grappe » : chaque plaque motrice contrôle la contraction d’une zone de fibres, et il n’y a pas de propagation du potentiel d’action d’une zone à une autre.
Alors qu’elles sont rares chez les mammifères, ces fibres SMTF sont fréquentes chez les oiseaux et les amphibiens. Particulièrement abondantes dans les muscles de l’épaule des oiseaux, elles ont pour rôle de verrouiller l’aile pendant les phases de planage ou de glissement alors que les ailes sont immobiles. Au contraire, les muscles dynamiques des ailes sont composés uniquement de fibres à contraction rapide.
Ainsi, les muscles contenant des fibres STMF ont pour rôle de maintenir une contraction prolongée, en raison de leur résistance élevée à la fatigue.
Chez l’humain, ce type de fibres n’a été retrouvé que dans les muscles oculo-moteurs (pour la poursuite oculaire et la fixation) ; on en trouve également dans l’oreille moyenne de certains mammifères (chat, primates non humains), leur but étant de moduler les mouvements des osselets pour filtrer certaines fréquences.
Le plus grand nombre de ces fibres est trouvé dans le centre de la portion musculo-membraneuse des CV. C’est au niveau de cette zone que les déplacements du bord libre sont les plus importants. La modulation de la contraction des fibres SMTF du Vs affecte l’amplitude et la vitesse de la vibration de la région du ligament vocal, le comportement vibratoire des CV et ainsi la composition fréquentielle de la fourniture laryngée.
Ceci modifie le contrôle des sons de hautes fréquences produits par les CV, ce qui se traduit par une modification de la qualité de la voix.
Ainsi, il semble que la présence des fibres STMF dans le Vs de la corde vocale soit le résultat de l’évolution de l’espèce humaine pour permettre un contrôle précis de la vibration du bord libre de la CV, important dans la parole humaine. Ceci est confirmé par le fait que le Vs n’existe pas sous cette forme dans les autres espèces y compris chez les primates. Par ailleurs, chez le NN, cette région de la CV ne contient que du tissu conjonctif.
S’il est problable qu’un système hautement spécialisé (le Vs) est apparu au cours de l’évolution pour permettre la production du langage humain, il est alors possible d’envisager que des atteintes de cette région de la CV, par certaines pathologies, vont avoir des répercussions sur la qualité vocale.
Dans la maladie de Parkinson par exemple, les patients ont une voix soufflée, faible et les CV apparaissent arquées. Ces patients ont une importante diminution du nombre des fibres STMF. L’aspect arqué des CV est dûe à la perte du volume du Vs liée à l’atteinte neurologique.
II-Innervation de la musculature laryngée
Le NLI est la source principale d’innervation motrice du larynx. Au moment de son entrée dans le larynx, après un trajet long dans le cou et le thorax, il fournit l’innervation motrice des muscles laryngés dans l’ordre suivant : CAP, AA, CAL, et TA.
Le NLS pénètre dans le larynx en traversant la membrane thyro-hyoïdienne. Il se dirige vers le bas le long de la face latérale du larynx, et donne des branches qui se dirigent medialement pour innerver la muqueuse laryngée. Il donne une branche supérieure pour innerver la région de l’épiglotte, une branche moyenne pour les bandes ventriculaires et une branche inférieure pour la région aryténoïdienne et retro-cricoïdienne.
Le NLI et le NLS assurent l’innervation motrice et sensitive du larynx. Cette innervation se fait de différentes manières, avec ou sans connection entre le système du NLI et celui du NLS.
Ainsi, différents auteurs ont décrits différents types d’innervation laryngée:
A-L’innervation du larynx se fait par le NLS et le NLI, sans communication entre eux.
B-La branche interne du NLS est reliée au NLI par une branche communicante « le rameau communicant ou anse de Galien »
C-La branche interne des NLS et les NLI sont réunis pour former un plexus neuronal au niveau du muscle AA
L’innervation du TA se fait par 2 branches séparées issues du NLI, pour le muscularis et le vocalis. Les études montrent que l’innervation est beaucoup plus abondante pour le vocalis, en raison du développement particulier du Vs chez l’humain et de son rôle dans la parole.
Un 3è compartiment, le centralis, situé entre le muscularis et le vocalis, peut être décrit chez le chien. Il sert à tirer l’aryténoïde vers l’avant. Ce muscle n’est pas innervé par le NLI mais par une branche du NLS, le nerf communicant, et non par le NLI. Le centralis semble être lié sur le plan philogénique au muscle CT : leur relation fonctionnelle semble avoir pour but une coopération pour contrôler la tension de la CV.
Plusieurs études ont montré, dans 50% des larynx humains, la présence d’une branche nerveuse issue de la branche externe du NLS, apparaissant dans le sinus piriforme, traversant le CT, puis quittant sa face médiale et pénétrant dans la face latérale du TA. En général, ce nerf communicant est composé de 2 parties : une branche intra-musculaire se terminant directement dans le TA, et une branche extra-musculaire traversant le TA et se terminant dans la muqueuse sous glottique et autour de l’articulation crico-aryténoïdienne.
Cette étude suggère que, lorsque le nerf communicant est présent, il fournit une seconde source d’innervation motrice au TA et une innervation sensitive des régions subglottiques et de l’articulation crico-aryténoïdienne. Ce nerf communicant pourrait être le nerf du 5è arc branchial, structure qui n’a jamais pu être identifiée, et il innerverait une portion du TA (l’équivallent du centralis du chien ?), participant ainsi au contrôle de la tension de la CV.
III-Les sous systèmes phonatoires
Avant de produire la phonation, les CV se mettent en position phonatoire par adduction : la position des CV est liée au compartiment muscularis du TA, au AA, et au CAL. Les fibres du compartiment latéral du TA (muscularis) sont à 100% des fibres à contraction rapide chez l’humain. Cette spécialisation musculaire est probablement liée au besoin d’adduction rapide nécessitée par les réflexes de fermeture glottique. De telles fibres à contraction rapide sont également trouvées dans les BV, le AA et le CAL. Ensemble, ces régions forment un groupe de muscles spécialisés qui coopèrent pour produire rapidement des mouvements d’adduction des CV.
Par ailleurs, différentes études anatomiques ont montré que les fuseaux neuro-musculaires responsables du contrôle proprioceptif de la tension musculaire laryngée, ne sont retrouvés que dans 4 régions : le compartiment « vocalis » du TA, le compartiment horizontal du CAP, le compartiment transverse du AA et une partie du CT.
Ces régions riches en fibres à contraction lente fonctionnent ensemble pour moduler le niveau de tension de la CV. Ensemble, ces résions forment un groupe de muscles spécialisés qui coopèrent pour la production de hauteur et la composition fréquentielle de la fourniture laryngée.
Bibliographie
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