Anatomie et physiologie de la phonation

 

introduction


Qu’est-ce que la voix ?



Comment la fabrique-t-on ? Quelles influences subit-elle ? Comment peut-on la perdre ? Comment peut-on l’améliorer ? Comment peut-on en faire une œuvre d’art (par le biais du chant notamment) ? Comment faire quand elle ne nous correspond pas, ou quand elle ne correspond pas aux critères culturels de notre époque ? Comment la préserver quand on est professionnel de la voix ? Comment la retrouver lorsque le corps, et l’organe vocal en particulier, est agressé, blessé, mutilé ?

Que nous dit la voix que les mots ne disent pas ?


C’est à toutes ces questions et à de nombreuses autres que nous allons tenter de répondre au cours de cet enseignement concernant l’anatomie et la physiologie des organes de la phonation, puis l’année prochaine, celui de la pathologie de la phonation.



Pourquoi un cours d’anatomie alors que les bibliothèques en sont pleines ? Pourquoi un cours d’anatomie fait par quelqu’un qui n’est ni anatomiste ni chirurgien ?

L’anatomie est la base des connaissances minimum à avoir quand on est dans une situation de transmission de connaissances. Mes connaissances sont limitées en anatomie classique, mais grâce aux étudiants de 1ère année de cette école, grâce aussi aux patients en difficulté vocale que je côtoie tous les jours dans le cadre de mon activité de phoniatre, j’ai appris à expliquer l’anatomie des organes de la phonation de manière plus fonctionnelle que ne le ferait un anatomiste ou un chirurgien.


En effet, pour comprendre ce qui est défaillant dans un geste vocal, pour expliquer au patient ce qui ne va pas ou ce qu’il faudrait faire pour que cela aille mieux, nous devons tous parler le même langage, nous appuyer sur des connaissances communes.

Je suis médecin, j’ai donc appris (et oublié) l’anatomie ; vous êtes étudiants, des bébés orthophonistes et pour la plupart d’entre vous, les connaissances anatomiques sont forcément limitées ; vous êtes pour l’instant dans la situation où seront vos patients quand vous les prendrez en charge sur le plan vocal.

N’oubliez pas ce moment, car quand vous devrez à votre tour expliquer l’anatomie, il vous faudra trouver un langage commun avec votre patient pour lui transmettre vos connaissances. Mémorisez vos difficultés à comprendre des organes en 3D, des plans, des rotations, des muscles, des pressions, des forces…Comment aurait-il fallu vous expliquer tout cela pour que vous le compreniez mieux…C’est avec ces mots-là que vous expliquerez efficacement à vos patients comment fonctionne et dysfonctionne leur voix.


Pourquoi cette transmission de connaissances ? Ne serait-il pas plus simple d’imposer sans expliquer ? Nous (médecins, orthophonistes) sommes ceux qui savent, les patients sont ceux qui reçoivent, pourquoi changer l’ordre des choses ?


En orthophonie, et en particulier dans le cadre de la prise en charge des troubles de la voix, cet ordre des choses ne peut exister. Il n’y a pas une personne qui soigne et une autre qui reçoit le soin. En matière de voix, il y a 2 partenaires : l’un des deux possède les connaissances pour analyser les difficultés de l’un et proposer un projet thérapeutique, l’autre doit comprendre ses difficultés et entrer activement  dans le projet pour les surmonter. Les 2 partenaires doivent avancer ensemble vers un même but, préalablement défini par eux 2 : on ne rééduque pas de la même façon un malade atteint d’une pathologie dégénérative, un enseignant avec des aphonies à répétition, un enfant à la voix rauque, un chanteur lyrique qui perd ses aigus…On ne rééduque pas de la même façon un individu porteur de nodules, d’un polype, d’un kyste ou d’une paralysie récurrentielle…



C’est ainsi qu’il nous faut parfaitement maîtriser l’anatomie pour aborder dans un second temps la physiologie. L’appareil vocal a en effet la particularité, en plus de pouvoir être atteint d’anomalie congénitale ou acquise, de créer lui-même, lorsqu’il dysfonctionne, un certain nombre des pathologies qui affectent la voix. Maîtriser la physiologie du fonctionnement normal de l’appareil vocal est un préalable indispensable à la compréhension de la pathologie et à la mise en place d’un projet thérapeutique logique et efficace pour aider le patient dans sa recherche d’une bonne voix (ou d’une voix suffisamment bonne…).


Les cours de 1ère et 3ème année sont donc extrêmement liés. On ne peut pas aborder la pathologie sans maîtriser parfaitement l’anatomie et la physiologie. On ne peut pas aborder la rééducation des troubles de la voix sans être parfaitement à l’aise avec la physiopathologie. On ne peut pas être un bon orthophoniste sans être à la pointe de ces connaissances : à la fin de vos études, vous serez les spécialistes de la voix ! Bien plus que les enseignants, que les chanteurs, que les ORL eux-mêmes…

Vous allez donc devoir acquérir beaucoup de connaissances théoriques, de concepts, de notions. Vous devrez former votre oreille à l’écoute de la voix, être capables de faire la synthèse des plaintes du patient, de rédiger des bilans et d’établir des projets thérapeutiques…


Pour ma part, je vais tenter de vous transmettre mes connaissances, issues de ma propre appropriation des éléments anatomiques et physiologiques, mais également de ma pratique clinique et de mes lectures. Il y a cependant des éléments que je ne pourrai pas vous transmettre :

-l’expérience tout d’abord, qui viendra avec le temps à la condition que vous la cultiviez

-le travail personnel ensuite, qui implique bien sûr de connaître les cours, mais aussi dans l’idéal, d’aller chercher l’information ailleurs…

-la curiosité enfin, qui sera le moteur de votre apprentissage…


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L'appareil vocal ou appareil de la phonation désigne l'ensemble des organes qui permettent à l'homme d'émettre des sons.

Cette terminologie peut donner l'impression qu'il s'agit d'un appareil particulier, dont la seule et unique fonction serait la production sonore.

En fait, la phonation est apparue chez l'animal et en particulier chez l'homme comme une adaptation fonctionnelle secondaire, utilisant des structures qui en soi n'ont rien de particulièrement orienté vers une fonction phonatoire.

L'appareil vocal n'existe donc que comme entité fonctionnelle.




L'appareil phonatoire est constitué de trois parties :

-- l'appareil respiratoire (soufflerie)

-- le larynx (vibrateur)

-- les cavités de résonance (modulateurs du son laryngé)


Aucun de ces organes n'est exclusivement phonatoire, mais toute altération de leur intégrité entraînera une perturbation du son émis. La pathologie vocale est liée bien sûr à l'atteinte des cordes vocales, mais également et de manière probablement aussi importante au dysfonctionnement de la soufflerie et des cavités de résonance.


L'étude anatomique et physiologique de ces différents appareils est un préalable indispensable à l'approche, la compréhension, et la prise en charge des troubles de la voix. C'est pour cette raison qu'elle est reprise dans ce cours ; cependant, cette étude sera en permanence orientée vers la fonction phonatoire, et l'accent sera mis sur les éléments anatomiques et physiologiques importants pour cette fonction. Des différences par rapport à ce qui pourrait être dit lors des cours d’anatomie «classique» seront obligatoirement notées.




Il est important, au-delà de la connaissance anatomique et physiologique, de comprendre que la qualité du son émis par l'action combinée des organes phonatoires, dépend encore de bien d'autres facteurs :


L'audition


Elle est nécessaire à l'élaboration de la voix, au contrôle de la production vocale.

Deux exemples illustrent le rôle de l'audition pour la voix :


La voix de l'enfant et son langage se construisent par un phénomène d’imitation et de rétroaction auditive. L’appareil phonatoire de l'enfant peut émettre une infinie variété de sons. Ne subsisteront comme sons signifiants, comme sons chargés de sens, ceux qui auront été renforcés par la mère et l'entourage. La voix se forme par imitation de ce qui a été entendu ; il faudra donc toujours rechercher dans l'entourage d'un enfant dysphonique, un adulte dysphonique. Il faudra toujours aussi, bien entendu, s’assurer de la normalité de son audition.


La voix de l'individu sourd est très particulière, et les orthophonistes repèrent souvent très rapidement les déficits auditifs dès les premières paroles émises... À l'inverse, lors de l’adaptation d'un appareillage auditif, la première modification à être obtenue rapidement est le contrôle de la voix.


Le schéma corporel


La production vocale dépend essentiellement des organes phonatoires, mais le travail de ces derniers est grandement influencé par le comportement «corporel» de l'orateur. Le schéma corporel correspond à la construction psychique que l’individu se fait de son corps. Le schéma corporel vocal est la représentation psychique du « corps vocal ». Cette construction s’appuie sur les sensations internes phonatoires qui stimulent en permanence l’enfant dès ses premières heures de vie et le guident pour l’élaboration et le contrôle de sa voix. L’écoute ou la répression de ces sensations, par l’éducation notamment, va grandement influencer le schéma corporel vocal et donc plus généralement les productions vocales. Il est ainsi important, en particulier en rééducation, de toujours resituer le geste vocal dans un mouvement plus global, incorporant les sensations du corps, les tensions dans les postures, la recherche du relâchement...


Le psychisme


Les émotions, le psychisme et la pathologie mentale ou psychiatrique retentissent sur les qualités de la voix : le discours du déprimé est monotone avec peu de variations de hauteur et une faible intensité ; le schizophrène étonne souvent par les variations inadaptées de registre; l’hystérique présente des variations exagérées de hauteur...

Même sans aller vers la pathologie psychiatrique, lors des bilans de voix, le phoniatre ou l’orthophoniste repère parfois des difficultés psychologiques, clairement exprimées par le patient dans certains cas, apparaissant au travers de ses paroles dans d’autres…Il est alors difficile pour le professionnel de ne pas tomber dans l’interprétation facile, de « comprendre » ou de réduire le trouble vocal à la simple expression du malaise psychique…Il nous faut garder le cap ! Il vous faudra apprendre à vous servir de vos connaissances en matière de psychologie, non pas pour démarrer une psychothérapie « sauvage », mais pour aider le patient dans sa demande initiale, à savoir son problème vocal.


Les interactions


Dans la conversation, la voix assure le rôle d'établissement et de maintien de la communication ; l'interaction se fait au niveau vocal, de même qu'elle se fait au niveau gestuel et du regard. Par la voix passent l'autorité, le respect ou le rejet, la douceur ou la violence... Ainsi, si vous parlez pendant que je fais mon cours, je vais devoir forcer ma voix pour qu’elle couvre la vôtre ; puis je vais me demander si finalement, mon cours est vraiment intéressant, si je ne suis pas rasoir…bref je vais déprimer et ma voix va s’en ressentir, ou bien je vais me mettre en colère et ma voix va souffrir…

La voix n’existe que parce qu’il y a des oreilles pour l’entendre…


Les lieux


Il n’est pas facile de parler dans une pièce bruyante, mal insonorisée, avec un bruit de fond permanent qu’il faut couvrir. Il est bien plus facile de chanter sous sa douche, dans la salle de bain ou tout résonne et nous fait croire un moment qu’on aurait des chances à la “star’ac”...La voix dépend fortement de l’endroit où on la produit, de l’aide ou non d’un micro, d’un retour...


L’époque, la culture, la société...


Selon l’époque, la voix, en particulier chantée, n’est pas soumise aux mêmes exigences. On ne parle ni ne chante comme on le faisait il y a 100 ou 200 ans...

La pression culturelle façonne en partie notre voix: il suffit pour cela de comparer la voix des hommes adultes occidentaux et asiatiques...

Enfin, notre rôle dans la société participe aussi à modeler la voix: les femmes dirigeantes (chefs d’entreprise, femmes politiques, mais également enseignantes), en exerçant une autorité ont tendance inconsciemment à aggraver la hauteur de leur voix...




Conclusion


De nombreux facteurs contribuent ainsi au modelage de la voix d’un individu: quand tout va bien, nul n’est besoin de s’en préoccuper. Mais quand l’altération vocale vient, comme un grain de sable, enrayer la machinerie vocale, il convient de se souvenir du rôle possible de chacun de ces éléments, afin d’aider au mieux la personne en difficulté.

Ces éléments, bien qu’ayant un rôle important pour la production vocale, nécessiteraient à eux seuls plusieurs chapitres et ne seront donc plus abordés en tant que tels dans la suite du cours. Il semblait cependant important de les ébaucher dans cette introduction, afin de resituer la place de l'organe vocal comme partie intégrante et indissociable du fonctionnement sensoriel, psychomoteur et mental de l'individu, lui-même partie prenante d’une cellule familiale subissant une pression sociale et culturelle.