Introduction à la voix pathologique

 






La voix pathologique






Introduction



Il y a encore une quarantaine d'années, la thérapeutique des troubles vocaux n’avait rien de très scientifique. Malgré la fascination qu'a toujours exercé la voix des chanteurs et des orateurs, malgré l'importance la communication orale dans les sociétés humaines, on connaissait mal le fonctionnement vocal et on ne savait pas comment traiter les troubles de la voix. Les chanteurs se repassaient leurs « trucs », « liqueur du Bolchoï » (extrêmement réputée, mais uniquement à base de sucre et d’alcool…), le miel, tisanes chaudes, et souvent, corticoïdes échangés sous le manteau… quand ils ne sont pas, aujourd’hui encore, largement prescrits par les médecins…

Quand des personnes souffraient de graves troubles de la voix, on savait seulement «peler» les cordes vocales ; lors de ce geste chirurgical, le chirurgien enlevait les couches superficielles de la muqueuse vocale, en espérant que les tissus sains prolifèreraient et remplaceraient le tissu endommagé. Quand on connaît la fragilité de la muqueuse vocale, et surtout l’importance de son organisation en couches indépendantes devant onduler sur le plan profond, on comprend ce que ce geste a de sauvage, de dramatique pour la voix !

Et malheureusement, de nombreux patients ainsi traités restent définitivement enroués, alors que leurs cordes vocales ont retrouvé, parfois, un aspect normal à l'examen au miroir laryngé. Ces patients sont alors adressés à l’orthophoniste, en charge d’aider le patient à retrouver une bonne voix. Tout rentre parfois dans l’ordre, sans que, finalement, un véritable diagnostic ait été posé. Et quelques années plus tard, la voix se dégrade à nouveau, sans facteur déclenchant particulier.


Mais progressivement, une nouvelle approche médicale des troubles de la voix s'est développée, grâce aux efforts mutualisés de spécialistes de diverses disciplines : O.R.L., phoniatres, orthophonistes, professeurs de chant et de théâtre, chanteurs et comédiens.

Les techniques d’évaluation, d'investigation et de traitement de la voix ont alors considérablement progressé.


ORIGINES DES DYSPHONIES


Les pathologies de la voix constituent un domaine hétérogène très large qu'il est impossible d'aborder en totalité dans le cadre de ce cours.

Le terme de dysphonie couvre une pathologie très diverse, à la fois fonctionnelle («mauvaise utilisation des organes de la phonation») et organique (présence de lésion sur les cordes vocales par exemple).

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, on verra que les atteintes des cordes vocales et/ou leur mauvaise utilisation ne sont pas les seules responsables des dysphonies : l’appareil vocal dans son entier (la soufflerie et les résonateurs y compris), mais aussi le corps (par le biais de la posture, du tonus musculaire), et bien sûr l’appareil psychique peuvent être à l’origine d’un trouble vocal.


Par ailleurs, si on limite la réflexion aux troubles vocaux en rapport avec une atteinte de l’appareil phonatoire, on verra que les dysphonies sont d'origine variée, et sont souvent la conséquence de plusieurs mécanismes pathologiques imbriqués.

Un comportement vocal d'effort, s’il est prolongé ou répété, peut se compliquer d’une dysphonie dite dysfonctionnelle. Ce dysfonctionnement simple peut lui aussi se compliquer de l'apparition de petites lésions sur les cordes vocales, c'est-à-dire d'une atteinte organique acquise.

A l’inverse, une anomalie congénitale des cordes vocales (lésion organique existant dès la naissance), ou une atteinte des cordes vocales après chirurgie de la région cervicale, ou encore certaines maladies générales, peuvent s'accompagner d'un trouble de l’utilisation de l’appareil phonatoire... Ce n’est alors pas forcément la lésion organique qui est responsable de la dysphonie, mais l’altération du geste vocal qui parfois la complique…

Or pour aborder les mesures thérapeutiques à mettre en œuvre afin d’aider un patient dysphonique, il faut remonter le temps et comprendre le mécanisme physiopathologique à l’origine de l’altération vocale.


Deux exemples permettent de mieux comprendre cette démarche :


-Une patiente enseignante, sans aucun problème de voix auparavant, présente dans les suites d’un épisode grippal, une dysphonie qui ne récupère pas et ce, depuis plusieurs semaines. L’examen ORL a fait le diagnostic de nodules des cordes vocales. Si la thérapeutique se limite à l’ablation chirurgicale des nodules, dans quelques  mois cette patiente présentera à nouveau les mêmes lésions cordales. En effet, à l’origine des lésions, se trouve l’altération chronique du geste vocal, présente probablement depuis des années à l’insu de la patiente. La correction du geste vocal peut aboutir à la disparition des lésions et surtout, à la prévention de leur réapparition. Il aura donc fallu, au cours de l’entretien et de l’examen du geste vocal dans son ensemble, chercher des éléments en faveur du forçage vocal chronique et ne pas se laisser abuser par le facteur déclenchant infectieux, qui dans ce cas n’a été que le facteur déclenchant de la dysphonie dont le lit était préparé de longue date par le comportement de forçage.


-Un jeune homme vient consulter pour une dysphonie à voix rauque : son entourage lui a signalé que, même bébé, sa voix a toujours été particulière. Cependant, de plus en plus souvent maintenant qu’il exerce la profession de commercial, sa voix se fatigue et s’altère en cours de journée, ce qui n’était pas le cas lorsqu’il était étudiant, en dehors de contextes particuliers (fêtes, nuits blanches, colonies de vacances…). L’examen phoniatrique a mis en évidence la présence d’un kyste sur la corde vocale droite et le praticien a conseillé une ablation chirurgicale de la lésion après quelques séances d’orthophonie. Dans ce cas, on peut penser que le kyste de la corde était peu gênant tant que la personne ne devait pas servir de manière professionnelle de sa voix. Actuellement, la présence du kyste empêche les modifications physiologiques (comportement de projection vocale) liées à l’intensification de l’utilisation vocale et un comportement de forçage s’est probablement mis en place. L’association de la lésion kystique et du trouble fonctionnel a conduit à la dysphonie.


Avant de prendre une décision thérapeutique et d’en préciser les modalités, le praticien doit démêler la part fonctionnelle de la part organique de la dysphonie de son patient. Il est rare qu’un traitement soit purement chirurgical et dans la plupart des cas, une prise en charge orthophonique est nécessaire, souvent fondamentale et parfois (souvent) suffisante.


Il est donc important de garder à l’esprit que les origines d’une dysphonie sont souvent multiples.

Mais pour étudier du moins théoriquement les troubles de la voix et leur prise en charge, il est nécessaire de réaliser un classement, qui de ce fait ne reflète souvent pas la réalité du mécanisme du trouble vocal.


FINALITE DU PROJET THERAPEUTIQUE


En phoniatrie, la finalité de l’accompagnement thérapeutique est particulier, en ce sens que son objectif est que le patient retrouve une voix confortable, dans laquelle il se reconnaît, qui lui permet de réaliser les objectifs personnels et professionnels qu’il se fixe ou que sa profession lui impose.

Une partie du projet thérapeutique dépend donc du patient, et il est important que celui-ci puisse le définir, avec l’aide des professionnels qui vont l’accompagner.

Ainsi, dans la mesure bien entendu où toute pathologie à risuqe vital a pu être éliminée, l’objectif du traitement est la voix, et non la normalité de l’appareil phonatoire. On peut décider de ne pas opérer une lésion clairement identifiée sur une corde vocale dans la mesure où son ablation, soit n’améliorera pas la voix du patient, soit, pire encore, l’altérera. Peu importe l’aspect des cordes, ce qui compte, c’est la voix !

C’est pour cela que les phonochirurgiens ne sont pas des chirurgiens des cordes vocales, ce sont des chirurgiens de la voix…



Définition


La dysphonie est une altération objective et/ou subjective du support sonore de la parole, se traduisant par l'atteinte isolée ou combinée des paramètres acoustiques de la voix : la hauteur, l'intensité, le timbre.






Le bilan phoniatrique d'une dysphonie



introduction


Les circonstances d’apparition d’une altération ou d’une modification de la voix sont extrêmement nombreuses. Cependant, on peut d'emblée différencier 2 grands types de circonstances qui entraîneront des conduites tout à fait différentes :


1-Le trouble vocal est le signal d'alarme d'une pathologie potentiellement à risque vital

exemples :

Anomalie congénitale laryngée à la naissance (atrésie...)

Processus infectieux aigu (épiglottite...)

Lésion tumorale


L'altération vocale passe au second plan, après la prise en charge en urgence parfois nécessaire (liberté des voies aériennes supérieures). Secondairement, l'épisode aigu passé et l'état général stabilisé, le trouble vocal peut devenir séquellaire, rejoignant ainsi le groupe suivant.



2-l'altération vocale constitue la préoccupation majeure ou exclusive du patient

C'est de ce type d'altération vocale dont il sera question dans ce cours.



Bilan D’une dysphonie


A-ENTRETIEN


motif du bilan vocal


A chaque consultation pour des difficultés vocales, la plainte va être entendue comme le récit d'une voix au travers duquel se raconte une vie entière.

Cette histoire n'est jamais banale, expression d'une souffrance, d'un désir...


Les motifs exprimés le plus fréquemment lors de la consultation sont :

le souci vocal professionnel : conserver sa voix, voix outil de communication, pour mieux convaincre, pour être crédible, pour exercer une autorité...

Les douleurs laryngées et la fatigabilité vocale

la cancérophobie

l'examen systématique (chanteurs, comédiens...)


2-   l’histoire du trouble vocal


Au cours de la consultation, on essaie de faire préciser au patient l’histoire de son trouble vocal.


début et évolution


depuis quand ?

Circonstances d'apparition : progressives ou brutales, après un traumatisme vocal, après un effort vocal prolongé... Après un épisode inflammatoire (grippe, laryngite)

s'agit-il du premier épisode ? Sinon, à quel rythme surviennent les difficultés et quelles mesures ont-elles déjà été prises ?


importance du trouble


la gêne vocale est-elle importante ?

À quel moment survient-elle ? Matin, soir, fin de semaine ? Le trouble est-il permanent ou intermittent?

48 heures de repos vocal sont-elles suffisantes pour récupérer une bonne voix ?

Quelles sont les circonstances où le trouble vocal gêne le plus : dans l'exercice professionnel? Dans le chant ? Tout le temps... ?


c-   signes associés au trouble vocal


fatigabilité vocale

gêne, sensation de striction, sécheresse, cuisson, serrage...

raclage ou hemmage

douleurs au niveau des muscles du cou

douleurs en parlant, en avalant, gêne à la déglutition

dyspnée, toux

pyrosis


d-   antécédents


O.R.L. : sinusite chronique, laryngite, trouble de l'audition, surdité dans la famille...

pulmonaires : pathologie respiratoire, asthme et ses traitements

endocriniens : troubles hormonaux, traitement hormonal, statut par rapport à la ménopause, à la puberté

chirurgicaux : intervention récente avec incubation, chirurgie de la thyroïde, de la région cervicale ou du thorax (nerf récurrent)

familiaux : existence de sujets dysphoniques dans la famille ou l'entourage

conditions de travail : milieu bruyant, enfumé, empoussiéré, climatisé, efforts de soulèvement...

Loisirs : chant (chorale), musique (instrument à vent), supporters (foot...)

hygiène de vie : tabac, alcool et autres toxiques (cannabis...)



Pendant cet entretien, l’examinateur a souvent déjà pu évaluer le type et l'importance de l’anomalie vocale : altération laryngée ou des résonateurs, troubles de la coordination pneumo-phonatoire, de la posture...


Quelle que soit la pathologie en cause, c’est pendant cet entretien, alors que le patient se raconte sans avoir l’impression que sa voix fait déjà l’objet d’une évaluation, que la voix va être analysée selon différents éléments :

ce qu'on entend de cette voix (acoustique)

la façon dont elle est fabriquée (physiologie)

le sentiment qu'elle véhicule (psychologie)

l'intention par rapport à autrui (mode d'action)


Ainsi, tout en écoutant le patient, tout en reconstituant l’histoire du trouble vocal, le praticien évalue et côte la voix, en utilisant le plus souvent une échelle de cotation (par exemple, l’échelle GRBAS de HIRANO).


B-BILAN CLINIQUE


1-Examen ORL « général »



L'examen O.R.L. « classique » permet d'apprécier l'état vélopharyngé, l'état buccal et dentaire, la mobilité de la langue, du pharynx, l'état des muqueuses. Si nécessaire, il permet également de vérifier l'intégrité de l'audition.

L'examen du voile du palais est important, en raison de l'interaction des sphincters glottiques et vélaires (une fuite vélaire peut être compensée par un forçage vocal laryngé).

L’examen du larynx peut être fait au miroir (laryngoscopie indirecte au miroir).

Le miroir laryngé est placé dans la bouche du patient en repoussant légèrement le voile du palais sans toucher la base de langue ni la paroi postérieure du pharynx (qui sont responsables du réflexe nauséeux). Orienté à 45 degrés, il permet d'examiner dans son ensemble le larynx.

On peut alors apprécier :

l'anatomie et la dynamique laryngée

l'état des muqueuses (laryngite, reflux gastro-oesophagien...)

La présence d'une lésion organique suspecte (leucoplasie, lésion précancéreuse, cancer...)


2-Bilan phoniatrique


Au terme de l'entretien et de l'examen O.R.L., on se rend souvent compte que l'origine de l'altération vocale est multiple.

Le phoniatre va alors essayer de distinguer les dysphonies organiques pures, les dysphonies dysfonctionnelles pures, les dysphonies aux mécanismes intriqués...

Le bilan phoniatrique va associer l'observation de l'aspect statique du larynx, sa fonction dynamique notamment grâce à la stroboscopie, l'intégrité et le fonctionnement des résonateurs, et le comportement phonatoire dans une approche plus générale du patient.


Le comportement phonatoire met en oeuvre différents systèmes qu'il va falloir observer:

l'appareil respiratoire (soufflerie)

l'appareil laryngé (vibrateur)

les qualités supra laryngées (résonateur)

le fonctionnement neurologique et l'état psychoaffectif.



Le praticien va devoir ainsi évaluer :


le statut O.R.L. du patient

les paramètres acoustiques de la voix parlée et chantée

les caractéristiques du geste vocal dans son ensemble

l'existence de symptômes d'ordre neurologique

le tempérament, l'humeur, les difficultés psychologiques éventuelles et leur retentissement sur la fonction vocale

les conditions d'utilisation vocale


Pour la réalisation de ce bilan, le phoniatre peut compléter son examen clinique par diverses investigations complémentaires.

Cependant, le meilleur outil d'analyse de la voix restera toujours l'oreille de l’examinateur, associée à ses facultés d'écoute de son patient, son empathie et la qualité de la relation qui sera instaurée.

De cette dernière va dépendre l'investissement du patient dans le projet thérapeutique d'une manière globale, dans la rééducation orthophonique en particulier.


2-1-Méthodes d'évaluation clinique de la voix


a-Le trépied acoustique

L'évaluation de la qualité de la voix est une étape fondamentale de la consultation phoniatrique et orthophonique. L'approche subjective « à l'oreille » demeure la règle et reste souvent la seule méthode effectivement utilisable en pratique courante. Cependant cette approche démontre un certain nombre de limites. En particulier, la nécessité pour l'évaluateur d'être particulièrement rompu à cet exercice et de disposer de critères précis d'analyse.


Il est particulièrement important d'enregistrer systématiquement la voix et de recueillir ces informations dans des situations variées d'activités vocales : lecture, conversation, voyelle tenue, voix d'appel, voix chantée…

L'enregistrement systématique permettra des comparaisons ultérieures, la réalisation d'analyses et la soumission à des jurys d'écoute.


En situation pratique, trois paramètres acoustiques sont communément admis pour l'appréciation de la qualité de la voix : la hauteur, l'intensité, le timbre.


-la hauteur

La fréquence d'un son émis pendant la phonation correspond au nombre de cycles laryngés observés par seconde. Elle varie, bien entendu, selon les conditions d'émission du son et, dans des conditions identiques, en fonction de l'intonation donnant la mélodie.

La mesure de la hauteur moyenne de la voix (F0) peut avec un peu d'entraînement se réaliser à l'oreille, notamment par le biais du test de lecture, et sera exprimée en notes musicales ou en Hertz.

La hauteur « normale » pour un individu de sexe donné dépend de son milieu culturel d’origine. Le jugement du niveau de la hauteur (normale, trop aiguë, trop basse) dépend également du milieu culturel dont dépend le professionnel.


-l'intensité

L'intensité vocale correspond à l'amplitude des impulsions laryngées évoquées ci-dessus, et donc à l'amplitude du signal acoustique qui en résulte. C’est certainement le critère le plus facile à juger.

L'évaluation à l'oreille est donc assez aisée et permet généralement de classer les voix selon trois catégories : faible, moyenne ou forte.


-le timbre

L'appréciation du timbre reste sans doute l'élément le plus délicat dans l'évaluation de la qualité de la voix. Si l'oreille humaine est capable d'apprécier très finement le timbre de la voix et ses variations, la difficulté surgit lorsqu'il s'agit de caractériser ces observations.

En effet, les qualitatifs ne manquent pas dans la littérature et chacun dispose habituellement de ses propres critères.

Ainsi, de nombreuses échelles sont proposées pour coter la voix normale et la voix pathologique. Actuellement, l'échelle la plus couramment utilisée en pratique phoniatrique est celle d’HIRANO. Elle repose sur l'appréciation de cinq caractères de la voix pathologique, chacun noté selon quatre niveaux (0 : normal à 3 : atteinte sévère).



b-Analyse de la posture

L’analyse vocale n'a de sens que si l'on considère la voix comme la résultante d'un geste vocal précis émanant du fonctionnement en synergie d'une série d'organes, de muscles et de nerfs.

Une bonne voix suppose un fonctionnement souple mais précis, sur des bases physiologiques qu’il faut pouvoir analyser, d'où l’établissement, au cours du bilan d’une dysphonie, d’un profil de fonctionnement vocal.

Ce profil est attentif à l'attitude corporelle dans son ensemble (position des pieds, nuque, dos, jambes...). Il tient compte de la souplesse de l'appui corporel, de la respiration dans sa phase inspiratoire et expiratoire. Il analyse les reprises d'air, les attaques, les finales, les passages, le placement de la voix...

Le profil de fonctionnement vocal est un profil de souplesse. Tout est question d’équilibre dans le geste vocal : équilibre entre les forces musculaires et les forces élastiques, entre les pressions d’air et les pressions d’accolement, entre les muscles antagonistes… La voix ne pose pas de problème quand cet équilibre est trouvé par le patient. Mais si quelque chose change, sur un organe ou dans le fonctionnement musculaire, dans la commande neurologique ou dans la tension psychomotrice liée au fonctionnement psychique, dans l’environnement du patient, l’équilibre se rompt et la dysphonie apparaît.


L’établissement du profil de fonctionnement vocal nécessite l’observation, à l'état de repos et en situation de phonation variée (conversation, comptage, lecture, chant), de différents éléments :

- port de la tête, musculature du cou

- mâchoires

- dos, épaules

- respiration : Aspiration nasale, buccale, crispations, souplesse

- inspiration, expiration, au repos, en phonation

- attaques: dures, souples, précises, instables, effort musculaire, en coup de glotte

- finales : brusques, en coup de glotte, à bout du souffle (phonation « sans » air, lâchage d'air après phonation

- reprises d'air : par la bouche, par le nez, souples, crispées, fréquence, discrétion, bruyantes

- détente /crispation : cou, mâchoire, nuque, thorax, abdomen, nez, front, inspiration, expiration

- gestion de l'air : les reprises d'air, durée de l'expiration en adéquation avec le projet vocal et sens de la phrase


Souplesse et précision des attaques

Les attaques vocaliques se distinguent par deux modalités physiologiques :


- l'attaque douce : Contrairement à ce qu’on avait appris en 1ère année, la position pré-phonatoire des cordes vocales n’est pas obligatoirement l’accolement complet des bords libres.

Dans l’attaque douce, les bords libres prennent une forme légèrement concave donnant à la glotte une configuration fusiforme. L'air traverse la glotte légèrement ouverte, repoussant les bords libres latéralement, ce qui a pour conséquence de générer les 2 forces de fermeture (force élastique de rappel et Bernouilli). Les forces de fermeture rapprochent les bords libres l’un de l’autre, ce qui redonne à la glotte un aspect fusiforme plus étroit qu’au début du cycle. L’air passant à nouveau entre les cordes rapprochées re écartent les bords libres, qui se rapprochent plus intimement lors de la fermeture suivante, etc…jusqu’à ce que l’accolement en fermeture soit complet. On se retrouve alors dans le cycle vibratoire que l’on avait appris en 1ère année, avec l’intervention de la pression sous-glottique dès que l’accolement est complet en adduction. La phonation a donc débuté glotte ouverte.


- l’attaque dure : les cordes vocales sont appliquées l’une contre l’autre, obturant complètement la voie respiratoire. On se trouve dans la situation décrite en 1ère année. La phonation débute donc glotte fermée.


L’attaque soufflée est l'exagération de la première modalité, c'est-à-dire que l'attaque débute avec la glotte ouverte mais l'accolement qui devrait suivre ne se fait jamais totalement et il reste toujours du souffle sur le son produit. L’asynchronisme entre le souffle expiratoire et le début de la vibration est trop important et le bruit aérien parasite est nettement audible.

Le « coup de glotte » se caractérise par une exagération de la seconde modalité, avec une mise en accolement brutal et massif des cordes, accompagnée d’une participation d’un mouvement d’adduction des bandes ventriculaires, allant parfois jusqu’à leur accolement. Quand l'émission sonore débute par un coup de glotte, l’attaque présente un caractère explosif et manque acoustiquement de précision tonale et de netteté.


Souplesse et précision des finales

Le même phénomène se produit sur les finales, c'est-à-dire les derniers sons produits par une expiration phonatoire. Les finales doivent être également précises, nettes, pures et émises aussi souplement que les autres sons.



2-2-Méthodes d’évaluation instrumentale de la voix


L'analyse instrumentale des paramètres de la voix va apporter une dimension objective qui permet de contourner en partie les inconvénients de l'évaluation subjective.


En général, les signaux recueillis pourront être de plusieurs types et feront ou non l'objet d'un traitement informatique :

- acoustique : le signal est recueilli grâce à microphone

- aérodynamique : les capteurs enregistrent des pressions ou des débits d'air (buccal ou nasal)

- électroglottographique : grâce à deux électrodes mises en place de part et d'autre du larynx, la variation du signal électrique permet d'analyser les phases d'accolement ou de décollement des cordes vocales

- temporel : on mesure la durée de production d'un signal donné


a-Analyse de la hauteur

Sur le plan instrumental, plusieurs paramètres peuvent apporter des informations sur la hauteur de la voix.

- La fréquence fondamentale usuelle ou F0, exprimé en hertz

Elle représente la fréquence la plus utilisée pour un échantillon de vocalisations, moyenne autour de laquelle se distribuent généralement les autres fréquences. Si cette mesure est généralement une constante pour un individu donné, il est fondamental de bien préciser les conditions dans lesquelles a été réalisée. En effet, F0 va se modifier dès que le patient sait qu’il est enregistré, d’autant plus lors de l’épreuve de lecture et lors de la voix d’appel (F0 s’élève dans ces 2 situations).


- La gamme de fréquences utilisées, généralement recueillis en parallèle avec le F0. Elle caractérise les possibilités de souplesse, de mélodies de la voix.


- Une évaluation de la stabilité en fréquence du son laryngé est apportée par le Jitter. Ce paramètre représente la moyenne des variations de fréquences survenant pour un son périodique donné. Cette mesure ne tient pas compte des variations volontaires de la fréquence (qui sont des variations lentes), mais ne retient que les perturbations rapides et involontaires. En pratique, cette mesure, exprimée Hertz, est habituellement effectuée sur un /a/ tenu.


b-Analyse de l'intensité

On utilise, pour la mesure de l'intensité, un sonomètre ou une technique informatisée à partir du recueil acoustique par un microphone. L'intensité mesurée est exprimée en décibels. Il est fondamental que l'instrument de mesure soit parfaitement calibré. Tout comme pour la fréquence on peu évaluer l'intensité vocale moyenne qu'un sujet emploie dans les principaux modes d'utilisation de sa voix et les variations de cette intensité.

La stabilité « involontaire » rapide est ici représentée par la mesure du Shimmer, calculé par la moyenne des différences d'amplitude du signal vocal.


D'importantes informations sur la dynamique vocale sont apportées par le phonétogramme. Il s'agit de la représentation graphique des intensités minimales et maximales pouvant être émises par un individu pour chaque hauteur tonale, et ce sur toute l'étendue de la voix. Ces mesures sont reportées sur un graphique représentant en abscisse la fréquence, et en ordonnée l'intensité exprimée en décibels.


   c- Paramètres aérodynamiques


-Temps maximal de phonation

Il s'agit du temps maximal pendant lequel on peut produire un son dans un contexte donné, après une inspiration la plus ample possible. La normale est habituellement située entre 15 et 25 secondes. Il s'agit d'un indicateur simple du rendement laryngé (s’il est court, la déperdition d’air est trop importante au cours de la phonation).

Rapporté à la capacité vitale, on peut ainsi définir le quotient phonatoire. Ce paramètre permet de s'affranchir des variations interindividuelles la capacité pulmonaire.


- Débit aérien phonatoire

Il s'agit de la quantité d'air utilisé par seconde pour produire un son dans un contexte donné. On considère que pour un son émis à tonalité et intensité usuelles (son confortable), le débit d'air s'établit habituellement chez l'adulte entre 80 et 140 ml par seconde.


- test s/z

Ce texte très simple permet de comparer la durée d’émission de deux constrictives, l'une sourde /s/ et l'autre sonore /z/. Normalement, ce rapport est voisin de 1. En cas de dysfonctionnement laryngé, la réalisation de la consonne sonore devient plus difficile et le rapport s/z augmente.


- Pression intrabuccale et pression sous glottique

La mesure des pressions dans la sous gltote et dans la cavité buccale pendant le chant ou la parole intéresse depuis longtemps aussi bien les chercheurs que les cliniciens. En effet, ces pressions ou surtout leurs différences, seraient susceptibles d'apporter des informations précieuses sur les contraintes exercées sur le larynx en phonation et, éventuellement sur l'existence d'un forçage vocal.

Ces mesures, réalisées surtout dans le domaine de la recherche, apparaissent beaucoup plus délicates à réaliser en pratique courante.


d- analyse du timbre


L'évaluation instrumentale du timbre reste la partie la plus délicate de l'évaluation instrumentale de la voix.

Certains paramètres précédemment décrits semblent pouvoir être corrélés à des éléments du timbre (par exemple le jitter et l’éraillement de la voix).

La sonagraphie reste la principale méthode d'analyse objective du timbre de la voix, même si sa lecture et son interprétation demande un bon entraînement. Elle peut revêtir un intérêt tout particulier pour évaluer les modifications vocales apportées par un traitement ou dans l'évaluation de la voix chantée.


Tout signal complexe périodique est composé de l'addition de signaux sinusoïdaux de fréquence et  d'amplitude différentes. Ainsi en est-il de la vocalisation. De ce fait, chaque son continu sera composé d'un son fondamental et d'harmoniques, dont la fréquence est un multiple entier de la fréquence du son fondamental. Les consonnes sont quant à elles composées de bruits, c'est-à-dire l'addition de sons sans rapports entre eux.

La sonagraphie permet de visualiser et d'analyser le spectre acoustique de tout son produit. L'ensemble des fréquences (fréquence fondamentale et harmoniques) sont représentées graphiquement en fonction du temps et de leur valeur respective. Ces informations seront recueillies à partir de voyelles seules ou dans une petite phrase. Les consonnes seront visibles sous la forme de bruits s'étageant sur tout ou partie du spectre (avec un fondamental pour les consonnes voisées, sans fondamental pour les consonnes sourdes).

Pour l'essentiel, cette représentation permet de mettre en évidence soit la fréquence fondamentale du son et ses harmoniques, soit les niveaux de densification de l'énergie acoustique dans le spectre sonore, identifiant les formants.

Parmi les principaux paramètres recueillis on retiendra :

-le rapport entre la quantité d'harmoniques et le bruit dans le signal acoustique

-les renforcements harmoniques (formants)

-la stabilité, les modalités d'attaque et d’extinction du son

-le rapport entre l'intensité des harmoniques situés au-dessus de 1000 Hertz et ceux situés en dessous. Les voix moins riches ou de mauvaise qualité auraient une moins grande densité en harmoniques aigus.




2-3-La stroboscopie laryngée


La stroboscopie permet la visualisation précise des cordes vocales en mouvement, et ainsi l'étude de l'ondulation de la muqueuse, ainsi qu'une vision détaillée des bords libres.


principes de la stroboscopie


A proximité du larynx, au contact de la « pomme d’Adam », on place un microphone relié à un stroboscope. Celui-ci est une source lumineuse qui déclenche des flashes selon une fréquence déterminée.

On branche sur le stroboscope un endoscope (rigide ou souple) que l'on va positionner à proximité des cordes vocales du patient.

La fréquence des éclairs lumineux va être déterminée par la fréquence du fondamental de la voix du patient. Lorsque la fréquence du stroboscope est décalée par rapport à la fréquence des vibrations des cordes vocales, l'observateur voit les mouvements laryngés au ralenti.

La synchronisation entre la source lumineuse et la fréquence du fondamental laryngé est automatiquement déterminée.

L'effet stroboscopique donne une vision détaillée de la corde vocale et surtout de ses mouvements lors de l'émission sonore : des anomalies laryngées minimes, qu'elles soient organiques ou fonctionnelles peuvent être alors visualisées, alors qu'elles ne sont pas détectables sous un éclairage normal.

L'enregistrement des données peut se faire sous forme de photographies ou de vidéo, actuellement y compris numériques.


déroulement de l'examen


Après avoir positionné la source lumineuse à proximité du larynx (endoscope rigide ou épi-pharyngoscope, naso-fibroscope souple), on demande au patient d'émettre des sons sur une tonalité spontanée au départ, puis dans le registre de tête et de poitrine. En fonction de l'anatomie du patient, et surtout de la position de l'épiglotte, on va lui demander d'émettre des voyelles différentes (« a », « é », «i »...).

On observe alors la dynamique de l'affrontement et de l'écartement des cordes vocales, ainsi que l'ondulation muqueuse en registre lourd ou léger.


ondulation muqueuse et stroboscopie


L'ondulation muqueuse au cours d'un cycle d'ouverture et fermeture laryngée dépend du mécanisme utilisé (cf. les cours de premières années).

Dans le mécanisme lourd, la surface de contact importante des cordes vocales au niveau de leur bord libre d'une part, le relâchement du ligament vocal d'autre part, font que les ondulations muqueuses sont plus amples que dans le mécanisme léger.


Au cours de l'examen, on peut apprécier :

l'aspect du bord libre des cordes vocales

la qualité de l'accolement glottique

l'amplitude de l'ondulation muqueuse

la symétrie et la synchronisation de l'ondulation muqueuse entre les deux cordes vocales

la régularité de l'ondulation

l'existence d'un arrêt localisé ou global de l'ondulation au niveau d'une corde vocale ou des deux, l'absence de propagation de l'ondulation sur la face supérieure de la corde vocale.



intérêt diagnostique de la stroboscopie


diagnostic différentiel entre des lésions d’aspect identique :

la diminution de l'ondulation stroboscopique en regard d'une lésion du bord libre de la corde vocale fait la différence entre un kyste et un nodule

l'arrêt des ondulations fait la différence entre une monocordite simple (inflammation d'une corde vocale) et la présence d'un kyste intracordal


certains diagnostics sont impossibles sans stroboscopie (sulcus ou sillon)

diagnostic des dysphonies dysfonctionnelles : Ces troubles du comportement vocal peuvent se différencier, grâce à la stroboscopie, en formes hyperkinétiques et formes hypokinétiques.




Conclusion


Au cours du bilan vocal, le phoniatre a à sa disposition les données de l’examen clinique, stroboscopique, et des éventuelles explorations complémentaires qu’il aura réalisées. Si l'examen clinique et la stroboscopie sont indispensables, il n'en va pas de même des autres d'examens paracliniques.


À l'issue de ce bilan, le praticien établit un diagnostic et prescrit un traitement adapté : la prise en charge thérapeutique peut associer un traitement médicamenteux, une rééducation orthophonique, une prise en charge chirurgicale.

Ces indications peuvent être proposées isolément ou conjointement en fonction de l’étiologie de la pathologie vocale.


Tout au long de son examen, le praticien va également préciser la dynamique du geste vocal du patient et expliquer à ce dernier comment fonctionne sa voix, en quoi consiste son dysfonctionnement.

Cette prise de conscience du comportement vocal défectueux est fondamentale avant toute prise en charge, notamment rééducative.


Il est important que le patient comprenne qu'un dérèglement à un niveau quelconque de l'appareil phonatoire peut entraîner un dysfonctionnement de tout le mécanisme vocal : c'est en rééquilibrant l'ensemble du geste phonatoire que les points défectueux se normaliseront.


Il s'agit véritablement d'un « projet thérapeutique » que l'on propose au patient, et qui nécessite une étroite collaboration entre ce dernier, son orthophoniste et le phoniatre.

Pour les différentes pathologies que nous aurons à considérer la suite du cours, nous préciserons à chaque fois les données de ce projet thérapeutique.